La deuxième séléction du prix Médicis
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Ilaria ou la conquête de la désobéissance
Gabriella Zalapì
- Zoé
- Domaine Francais
- 21 Août 2024
- 9782889074112
Ilaria a huit ans quand son père l'embarque en cavale dans l'Italie du début des années quatre-vingt. Fulvio ressemble à « un guépard nerveux » pense l'enfant tout en chantant des tubes avec lui dans la voiture. Ilaria découvre Trieste, la mer en Toscane, l'internat à Rome. Elle apprend à conduire et à mentir. Observe et ressent tout tandis que son père boit de plus en plus de whisky dans un nuage de fumée. De petits hôtels en aires d'autoroute, l'enfant perd peu à peu l'odeur et la douceur de sa mère. La campagne sicilienne et la vie de ses paysans la sauvent. Ça ressemble à une aventure, mais c'est un enlèvement. Les mots de ce texte sont à hauteur d'enfant, ce que comprend Ilaria, c'est à travers des sensations physiques, au-delà de tout jugement.
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Le rêve du jaguar
Miguel Bonnefoy
Coup de coeur- Rivages
- Litterature Francaise
- 21 Août 2024
- 9782743664060
Quand une mendiante muette de Maracaibo, au Venezuela, recueille un nouveau-né sur les marches d'une église, elle ne se doute pas du destin hors du commun qui attend l'orphelin. Élevé dans la misère, Antonio sera tour à tour vendeur de cigarettes, porteur sur les quais, domestique dans une maison close avant de devenir, grâce à son énergie bouillonnante, un des plus illustres chirurgiens de son pays.
Une compagne d'exception l'inspirera. Ana Maria se distinguera comme la première femme médecin de la région. Ils donneront naissance à une fille qu'ils baptiseront du nom de leur propre nation : Venezuela. Liée par son prénom autant que par ses origines à l'Amérique du Sud, elle n'a d'yeux que pour Paris. Mais on ne quitte jamais vraiment les siens.
C'est dans le carnet de Cristobal, dernier maillon de la descendance, que les mille histoires de cette étonnante lignée pourront, enfin, s'ancrer.
Dans cette saga vibrante aux personnages inoubliables, Miguel Bonnefoy campe dans un style flamboyant le tableau, inspiré de ses ancêtres, d'une extraordinaire famille dont la destinée s'entrelace à celle du Venezuela. -
Au coeur de ce nouveau roman de Cécile Wajsbrot, il y a un souvenir d'enfance, celui d'une disparition. Une femme se souvient d'une autre femme qui apparaissait parfois chez ses parents avant de s'en aller au loin pour de longues périodes, et dont ne lui reste qu'une ancienne photographie. À chacun de ses retours, elle apportait dans la vie de l'enfant un parfum d'aventure. Un jour, celle qui était à ses yeux la fée des voyages n'est plus revenue. Elle était hôtesse de l'air et avait (l'enfant ne le saura que beaucoup plus tard) perdu la vie dans une catastrophe aérienne en 1961, son avion s'étant écrasé dans le désert algérien. L'histoire de cette femme, depuis des années, obsède la narra- trice comme une blessure non refermée. Au point que cet accident est devenu, écrit-elle, « le point de fuite de son existence, ce qui lui donne son unité », alors même qu'à chaque tentative qu'elle a faite pour s'approcher de ce mystère, elle a eu le sentiment d'aborder un domaine interdit. L'enquête qu'elle poursuit néanmoins est le fil rouge du livre et conduira la narratrice à découvrir que le crash de cet avion d'Air France, en Algérie, à cette date n'est peut-être pas un accident... Mais la beauté du roman, sa richesse, vient de ce que Cécile Wajsbrot parvient à rendre à cette histoire particulière, somme toute banale comme l'est toute mort accidentelle, la dimension d'une tragédie - ou plutôt d'un « opéra » contemporain. À l'origine du récit tragique, il y a cet appel, ce besoin de répondre à une question restée sans réponse que la romancière met en scène au début du livre, dans une très belle ouverture, en montrant que sa narratrice ne fait que reprendre l'antique rôle du coryphée qui se détache du choeur pour prendre la parole. Son rôle va être de redonner vie à ceux qui manquent, aux personnes disparues ou absentes. Mais ce personnage qui semble sorti de l'antiquité dirige bientôt ses pas vers l'escalator d'un centre d'art contempo- rain, à la suite d'une visiteuse qui découvre une installation vidéo de Hito Steyerl, annonçant le thème du roman : After the crash. Manière d'affirmer, comme Cécile Wajsbrot le fait dans ses essais, que « la littérature est semblable au tissage de Pénélope » et que, de son origine à nos jours, elle n'a cessé de faire et défaire la même toile sans fin. Et, tout au long du livre, ensuite - comme souvent chez elle - un choeur de voix invisibles va venir commenter et enrichir le récit principal d'un contrepoint de variations sur le thème du voyage aérien, du désir que, depuis Icare, les hommes ont toujours eu de voler, de leur goût pour le ciel et les oiseaux qui le peuplent, de la chute et du passage dans l'autre monde. Et c'est bien, en définitive, le mystère de la destinée humaine que la romancière aura, une fois de plus, sondé.
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«Je ne peux pas dire ce qu'est l'amour. Je peux seulement dire ce qu'est la vie quand on aime. Je ne suis qu'un être qui touche et qui a touché. Je ne suis qu'un corps qui pleure et qui suinte. L'amour est factuel. Se lever d'un canapé pour aller sur un lit, c'est déjà dessiner l'amour. Je vais essayer de dessiner L. mais je ne me souviens de rien, puisque l'amour ne se voit pas. Il est tout entrelacé de rien : le néant d'une odeur de jean, les respirations accélérées, un petit rictus de plaisir et la haine dans les yeux quand on a dit une chose qu'on n'aurait pas dû dire. Je ne ferai pas l'effort de vous donner les clés. Il n'y en a pas. Il vous faudra juste vous atteler à suivre la même chose que moi. Elle.» La fille verticale raconte la passion entre deux femmes. De fuites en violences, elles dérivent dans Paris la nuit, comme la mémoire roule sans trêve sur les traces d'un amour fou.
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À la mort de sa mère, Youssef, un professeur marocain exilé en France depuis un quart de siècle, revient à Salé, sa ville natale, à la demande de ses soeurs, pour liquider l'héritage familial. En lui, c'est tout un passé qui ressurgit, où se mêlent inextricablement souffrances et bonheur de vivre.
À travers lui, les voix du passé résonnent et l'interpellent, dont celle de Najib, son ami et amant de jeunesse au destin tragique, happé par le trafic de drogue et la corruption d'un colonel de l'armée du roi Hassan II. À mesure que Youssef s'enfonce dans les ruelles de la ville actuelle, un monde perdu reprend forme, guetté par la misère et la violence, où la différence, sexuelle, sociale, se paie au prix fort. Frontière ultime de ce roman splendide, le Bastion des Larmes, nom donné aux remparts de la vieille ville, à l'ombre desquels Youssef a jadis fait une promesse à Najib. " Notre passé... notre grande fiction ", médite Youssef, tandis qu'il s'apprête à entrer pleinement dans son héritage, celui d'une enfance terrible, d'un amour absolu, aussi, pour ses soeurs magnifiques et sa mère disparue.
Prix Décembre 2024
Prix de la langue française 2024 -
Une jeune femme idéaliste comme on peut l'être à vingt ans arrive à Paris à la fin des années 1990. On la suit dans sa découverte d'un milieu intellectuel qui a tout d'une caste d'homme.
Elle y rencontre l'écrivain Alain Robbe-Grillet, imposant « Pape du Nouveau Roman », et son épouse Catherine, maîtresse-star de cérémonies sadomasochistes. Ils incarnent une certaine idée de la littérature et de la liberté sexuelle. Toutes choses auxquelles l'héroïne s'affronte tant bien que mal.
Raconté avec impertinence depuis aujourd'hui, son apprentissage, d'une drôlerie irrésistible, est un conte contemporain. Sa leçon est que la liberté s'exerce dans le jeu avec les autorités établies. Et sa morale, qu'il ne faut jamais sous-estimer les jeunes femmes. -
Je dis, en divisant chaque syllabe, en les plantant pour faire germer un nouveau monde, je dis aimez Gil. Aimez Gil. Une prière dans la voix la plus basse, la voix la plus insignifiante qui puisse être. Aimez Gil.
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En avril 2022, la mère de Julia Deck est victime d'un accident cérébral. Selon les médecins, ses chances de survie sont infimes. Mais la patiente déjoue les diagnostics. Commence alors un long cheminement, dans l'espoir d'une convalescence, à travers le dédale des établissements de soins. En parallèle, Julia Deck raconte, sur un rythme vif et non dénué d'humour british, la vie de cette femme issue d'une famille ouvrière anglaise, passionnée de littérature, qui s'est élevée socialement, est venue habiter en France, tout en continuant d'entretenir un rapport complexe avec sa famille d'Angleterre. Car au milieu de son histoire, Julia décèle une étrangeté, peut-être un secret - un point aveugle dans le récit de sa filiation. Mais à cette interrogation, seule sa mère, précisément, pourrait répondre. Ce texte splendide, qui questionne les liens entre l'écriture et la vie, est aussi un geste d'amour bouleversant d'une fille envers sa mère.
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Paris, Musée du XXIe siècle - Le 18e arrondissement
Thomas Clerc
- Éditions de Minuit
- Roman Francais Minuit
- 29 Août 2024
- 9782707355362
Le 18e arrondissement compte 425 rues, squares, places, avenues, cités, jardins, villas, boulevards, impasses et passages que Thomas Clerc a entrepris d'arpenter depuis qu'il y a emménagé récemment. Description totale, née de ses déambulations, dérives et notations, ce livre n'omet rien de ce que la ville laisse voir, entendre et ressentir.
De Montmartre aux abords du périphérique, des habitants de ses quartiers aux touristes égarés, des cafés aux dark stores, de la nuit au jour, l'ancien faubourg de Paris, insurgé sous la Commune, ne cesse de changer d'apparence, quand ce n'est l'auteur lui-même qui le refaçonne au gré de son périple. Le 18e se déroule comme une toile géante où chaque rue est un tableau vivant.